PRIX TURGOT 2022
Critères de sélection :
– livres traitant de sujets originaux à impact économique ou financier (les manuels pédagogiques, rapports de recherche, ouvrages techniques sont exclus)
– livres bien documentés, argumentés et écrits
– auteur(s) légitime(s) sur le thème traité, non déjà primé(s) Turgot
– ensemble de la présélection représentatif des principaux questionnements actuels
Jean Aurélie, Les algorithmes font ils la loi ?, L’Observatoire, 221 pages.
Mathis Jérome, Combien vaut une vie ?, Tremplin, 290 pages
- Ansidei Julie, Noam Leandri, La finance verte, Eds La Découverte, 129 pages.
- Veltz Pierre, L’économie désirable. Sortir du monde thermo-fossile, Eds Seuil, 128 pages.
CHRONIQUES DU CLUB DE LECTURE
La finance verte connait un essor considérable depuis la COP 21 et l’Accord de Paris. Elle est présente dans les débats européens actuels, elle fera partie des principaux thèmes de la prochaine élection présidentielle.
A entendre certains débateurs, nous en serions aux balbutiements, pour d’autres, la réflexion n’a pas commencé, pour les derniers enfin, l’ennemi reste la finance ! La réalité, à rebours de ces propos est foisonnante et parfois bien technique. Aussi est il fort utile de lire un ouvrage qui regroupe par thèmes détaillés les informations, initiatives, règlementations existantes et en cours d’examen avec leurs avantages et limites. L’ouvrage n’est pas nécessairement accessible à un béotien de la finance, mais il ne faut pas non plus être un grand prêtre pour comprendre.
On indiquera les titres de parties : « pourquoi et comment verdir la finance », « des millions aux trillards pour la transition écologique », « une mobilisation croissante du secteur financier », « l’Europe maintient son rang de pionnier », « la boite à outil de la finance verte », « Banque verte ou monnaie verte ? », « Crise sanitaire et crise climatique : quelles implications pour la finance verte et durable ». Les auteurs sont des régulateurs et économistes convaincus sans être idéologues, impliqués quotidiennement dans la mise en œuvre de ces programmes ce qui crédibilise leur discours. L’ambition de ce livre est de devenir un ouvrage de référence-et il l’est-pour ceux qui doivent intégrer professionnellement – les autres ne sont pas exclus ! »- les enjeux du développement durable en mettant en évidence, les questions méthodologiques, théoriques et les enjeux de données qui mobilisent aujourd’hui les chercheurs, les pouvoirs publics, les régulateurs, les superviseurs et les acteurs privés sous l’œil des ONG et de la société civile dans son ensemble.
Dominique CHESNEAU
Aurélie Jean s’interroge sur la régulation et la réglementation de l’Intelligence Artificielle. Elle constate dans les législations américaine (le California Consumer Privacy Act) et française (le Règlement Général sur la Protection des Données), des vides et des flous juridiques qui exposent les entreprises et les particuliers à des risques de discrimination, de captation de données ou de perte de contrôle. Elle montre que les logiques des nouvelles générations d’algorithmes sont de plus en plus difficilement explicables et interprétables par les juristes et que leur encadrement nécessite l’assistance de scientifiques. Elle rappelle que « l’IA est à la fois une discipline et un outil de modélisation scientifique regroupant diverses techniques de représentation… ». L’IA permet notamment d’identifier une entité à partir d’images, d’anticiper des évolutions de phénomènes ou de détecter des fraudes.
L’auteure retrace l’historique de l’IA et analyse les diverses logiques explicites et implicites suivies par leurs concepteurs. Elle montre que l’effet « boite noire » observable dans les algorithmes implicites exploitant des données non supervisées, est inévitable et que certaines metadata non structurées exigent des tests préalables à leur traitement. Elle montre que les biais algorithmiques résultent de décisions humaines et ont donc pour origines des biais cognitifs ou des déviances comportementales. La plupart des biais sont dus à des projections statistiques de séries historiques, à des traductions erronées ou à de mauvaises formulations de problèmes Elle analyse les modèles qui ont marqué l’histoire de ces biais (manipulation de sondages par Cambridge Analytica, sélection discriminatoire d’Apple card, profilage biaisé de Google, recrutements orientés d’Amazon…).
Elle s’attache à montrer plus particulièrement les dangers de la justice prédictive (ou « algorithmisée ») qui est essentiellement basée sur le traitement de la jurisprudence. Elle redoute que les progrès de l’IA et la multiplication de ses acteurs (dont les « niveaux de langage » sont disparates ) risquent d’amplifier « l’opacité algorithmique » si les politiques et les juristes n’anticipent pas certaines fonctionnalités de l’IA. C’est pourquoi elle plaide en faveur d’un développement de la « maturité algorithmique » de l’ensemble de la société.
JJ PLUCHART
Si « une vie ne vaut rien, rien ne vaut une vie.. » aimait à rappeler André Malraux. C’est sur cette conviction largement partagée que s’est construit ce lieu commun qui voudrait que « la vie n’ait pas de prix ». Mais cette considération hautement philosophique s’accompagne d’une opacité sémantique qui superpose dans les esprits , « la valeur » morale, éthique, avec le «prix» pécuniaire, monétaire, économique et social qui reflète en miroir l’autre face de Janus de ce sujet.
De cette réalité peu discutable est naît un tabou, celui du lien entre l’argent et la vie, entre matérialisme et spiritualité. Il reste toutefois de plus en plus difficile à nos concitoyens même pour les plus réfractaires à l’économie de marché «attribuant un prix à tout» , de concevoir que pour autant la vie n’ a pas un coût direct, caché, inconscient. La terrible pandémie mondiale que nous venons de vivre est venue rappeler à nos concitoyens que le prix « monétaire » de la vie pouvait devenir exorbitant , confère l’état de notre endettement et de nos finances publiques .
Dans ce nouvel essai à portée fortement pédagogique , l’auteur plaide pour une plus grande clarté sur l’ appréciation de la valeur de la vie et notamment en apportant de lumineux éclairages sur les raisons qui font que cette valeur diffère , d’une administration française à une autre , d’un pays dit développé à un pays appelé « pauvre » , comme entre classes sociales, d’âges ou de différence de sexe … De nombreux exemples viennent montrer que tout décideur va devoir de plus en plus sortir de sa zone de confort moral et intellectuel, être placé devant « l’abîme de ses choix » : Il en va ainsi , par exemple, du développement des voitures autonomes: elles devront intégrer des logiciels et autres algorithmes qui détermineront « à priori » des directives éthiques qui induiront des choix soit en mode « égoïste » ( visant à protéger le conducteur -passager ) , soit altruiste » ( sauver le piéton), soit « utilitariste » , tendant à réduire le nombre final de victimes avant toutes autre considérations..
Ainsi de plus les sources de conflits entre l’intérêt individuel et le bien commun surgiront sur le chemin du prix et du coût de la vie et de son évaluation matérielle. Au fil de chapitres particulièrement documentés , l’auteur montre en quoi les tribunaux et le droit français sont inadaptés à ces nouveaux enjeux , quelle incidence peut avoir le prix du soin sur les pratiques hospitalières et le terrible risque du « tri » conscient ou inconscient des patients Le temps est venu pour engager la France dans une gestion plus cohérente de l’ ensemble des risques connus (alimentaire, écologique , industriel ,nucléaire, routier sanitaire, technologique terroriste) , et autres « inconnus ».
Nul doute que les économistes ont un rôle majeur à assumer dans ce défi pour conférer à chacune de nos vie une valeur et un prix en toute transparence et responsabilité. Jérôme MATHIS avance en éclaireur de grand talent sur ce chemin … C’est aussi l’ un de ses grands mérites
Jérôme Mathis Professeur d’ économie et finances à l’université de Paris-Dauphine .Prix du meilleur jeune chercheur en Economie ?auteur de plusieurs ouvrages et anime le blog « la finance au cœur de nos vie ».
JEAN-LOUIS CHAMBON
Pierre Veltz s’interroge sur la mutation actuelle de la « société hyper-industrielle », engendrée à la fois par la responsabilisation sociale et environnementale des entreprises et par la crise pandémique. Il se demande si cette évolution ne conduit pas à une impasse, dans la mesure où certains fondamentaux de « l’économie verte » ne sont pas clairement définis. Il constate que les moteurs et les indicateurs de l’activité productive sont toujours la création de valeur financière pour les actionnaires. Les leviers de la santé, de l’éducation, de la culture et du bien-être ne sont pas valorisés, sinon seulement comme des charges ou des facteurs indirects de productivité.
L’auteur plaide en faveur de l’émergence de nouveaux « cadres structurés » – d’une nouvelle « grammaire productive » – fondée sur des valeurs à la fois financières et extra-financières. Il prône une recherche de cohérence entre les économies micro (l’entreprise) et macro (la société). Il déplore que les seuls indicateurs officiels mesurant les impacts de la pandémie, soient la chute du PIB (qui cumule des valeurs ajoutées comptables), les faillites d’entreprises et les pertes d’emplois. Il appelle donc à une refondation du paradigme socio-économique qui régit la société humaine.
Pierre Veltz (X-Mines) est ingénieur et sociologue. Il préside l’établissement public Paris Saclay. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont La société hyper-industrielle, Le nouveau capitalisme productif , Eds du Seuil, 2017.
J-J.PLUCHART